samedi 12 avril 2008

Mon frère, ce traître

Depuis qu’ils sont enfants, la complicité des trois frères Charraux a toujours forcé l’admiration de leur entourage. A la mort de leurs parents en 1859, au lieu de se disputer l’héritage familial, François, Pierre et Jean, âgés respectivement de 38, 33 et 23 ans, unissent leur force et afferment une métairie près de la Chapelle-Bâton. Cependant, depuis l’arrivée à la ferme, en 1860, de Jeanne Chigné comme domestique, quelque chose a changé. Jean, le dernier-né des frangins, est immédiatement séduit par la beauté de la brunette de 22 ans. Atteint d’une malformation au bras et à la jambe droite, Jean s’est toujours maintenu à l’écart des femmes.

Gêné par son handicap, il n’a jamais su comment les aborder. Voilà que pour la première fois de sa vie, une demoiselle lui porte de l’intérêt. Jean se résout alors à franchir le pas. Il en est sûr, c’est avec elle qu’il veut se marier. Les occasions de lui déclarer sa flamme se multiplient, mais sa timidité avorte chacune de ses tentatives. Alors qu’en avril 1861, le prétendant n’a toujours pas osé révéler ses sentiments, un nouvel adversaire vient contrecarrer ses plans. Ce concurrent inattendu n’est autre que Pierre, son propre frère. Jean n’aurait jamais pu imaginer qu’en rentrant de la foire de Charroux le 30 avril 1861, il trouverait sa promise enlacée dans les bras de celui qu’il admirait tant. Cette image, gravée dans sa mémoire, devient très vite insupportable et la tristesse qu’il ressent se transforme en une haine féroce. Il n’a qu’une seule idée en tête : tuer les deux traîtres.

En se levant à quatre heures du matin en ce jour du 8 mai 1861, Jean sait pertinemment que c’est aujourd’hui qu’il va mettre à exécution son projet diabolique. Pour expliquer le geste affreux qu’il se prépare à faire, il écrit une lettre à François et surtout au père de Jeanne. Jean n’attend plus maintenant que le moment propice pour agir. Celui-ci se présente lorsque ses deux frères, après avoir déjeuné, repartent aux labours. Jean se retrouve alors seul avec Jeanne. L’occasion qu’il n’avait jamais su saisir de lui demander sa main se présente à nouveau. Cette fois, sa voix ne tremble pas. Il lui demande de l’épouser. La réponse négative de la servante le rend hystérique. « Dans un moment de tourment de tête », il se saisit d’un fusil. Apeurée, Jeanne sort de la maison et se met à courir. A peine a-t-elle franchi le seuil de la porte que Jean fait feu. Frappée de plein fouet, la jeune femme s’effondre sur le sol, la charge lui a éclaté la mâchoire. Conscient de ce qu’il vient de faire, Jean retourne dans la maison. Cette fois, la cartouche qui reste dans son arme lui sera destinée. Il place le canon sous son menton et tente de se « brûler la cervelle ». Mais rien ne se passe comme prévu. Le projectile ne fait que l’effleurer. Tentant de fuir, il est finalement interpellé par la gendarmerie deux jours plus tard. Jeanne s’en sortira miraculeusement. Renvoyé devant la cour d’Assises de la Vienne, Jean Charraux est condamné le 24 août 1861, au cours d’un procès rapide, à dix ans de bagne.





Sources : Archives départementales de la Vienne, 2 U 1648
Illustrations : Plan de la scène du crime et extrait de la lettre de Jean Charraux, "
Je suis bien chagrin".

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