jeudi 10 avril 2008

Drame à l'Hôtel du Nord

Il existe avenue de la gare à Chabris, un hôtel digne de tenter la plume descriptive d’un romancier. Vivent dans ce lieu singulier le père de famille, Jean Renouard, 57 ans, confiseur ambulant, presque toujours absent ; sa femme, Louise, 54 ans, l’âme de la maison, qui n’hésite pas à admettre ses clients dans le cercle privé des ouvrières de son atelier de couture ; et enfin, leur fille cadette, Marie-Thérèse, 21 ans, brunette que l’on dit désirable bien qu’il lui manque un œil. C’est ici, à l’Hôtel du Nord, que se déroule à la fin du XIXème siècle l’une des affaires criminelles les plus retentissantes du département de l’Indre.

En décembre 1895, Alfred Lebailly, peintre en bâtiment de Romorantin, arrive à Chabris pour exécuter des travaux de ravalement. Il descend à l’Hôtel du Nord. Rapidement, l’ouvrier de 24 ans, « blondin à l’œil doux » selon les termes des journalistes de l’époque, devient un familier de la maison. Des relations intimes se nouent même avec Marie-Thérèse. En mai 1896, Alfred, qui a terminé sa mission, doit repartir chez son patron dans le Loir-et-Cher. Il souhaite emmener sa maîtresse avec lui. Celle-ci, malade, refuse. Ses parents s’y opposent également. Piqué au vif dans son orgueil de Dom-Juan, Lebailly devient agressif et multiplie les menaces. « Folle va ! Je te trouverai toujours », telles sont ses dernières paroles avant de quitter le département.

Le 18 août, à 4h, Alfred est de retour à Chabris, armé d’un couteau de cuisine. Ses menaces sont sur le point de se transformer en actes. Connaissant bien les lieux, il arpente discrètement les rues, pénètre dans la cour de l’hôtel et s’installe dans la chambre qu’il occupait. A 13h, Alfred, tranquillement allongé sur le lit, entend des voix. Il regarde par la fenêtre et aperçoit Marie-Thérèse qui s’approche de la chambre. L’homme se saisit alors de son arme et se poste derrière la porte. La jeune fille pénètre dans la pièce. Alfred la saisit par les cheveux et lui assène un terrible coup de couteau dans la poitrine. La malheureuse tombe à genoux. Il la frappe encore à trois reprises. Pris de panique, Alfred s’enfuit le couteau ensanglanté à la main avant de se constituer prisonnier à la gendarmerie. Ses aveux sont publiés le lendemain dans les journaux locaux à côté de l’avis de décès de sa victime.

Le procès du drame de l’Hôtel du Nord s’ouvre à Châteauroux le 17 décembre 1896. Dans ses colonnes, le Journal du département de l’Indre décrit cette affaire comme « un de ces crimes de l’amour, actes souvent inexplicables, commis dans l’entraînement d’une passion folle. On aimerait l’excuser, si le souvenir de cette jeune fille tuée à la fleur de l’âge (sic) ne planait pas sur ces lugubres débats comme une ombre vengeresse ». Les propos du procureur de la République, qui compare l’accusé à Henri Pranzini, l’assassin de la rue de Montaigne (guillotiné en 1887 pour un triple assassinat dont celui d’une prostituée), font forte impression sur les jurés. Alfred Lebailly est reconnu coupable de meurtre avec préméditation et guet-apens. Les circonstances atténuantes qui lui sont accordées le sauvent de la peine capitale. Il est condamné à 20 ans de travaux forcés.

Sources : Le Journal du département de l’Indre
Illustration : Dessin du meurtrier dans le Journal du département de l’Indre.


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