samedi 12 avril 2008

Elle mutile son amant (1845)

Le 4 février 1845, les commérages vont bon train dans le village de Romagne. On ne parle que de la mystérieuse blessure du cabaretier, Pierre Berland. Depuis la veille, l’homme de 65 ans est alité. Si personne ne sait exactement ce qu’il a, tous sont convaincus de l’inexactitude de sa version des faits : le malheureux ne s’est pas mutilé en tombant comme il le prétend. Un accident plus grave est arrivé. Prudence Millet, qui passait par là, surprend la conversation. La femme de 40 ans s’approche d’un petit groupe et, le sourire aux lèvres, clame haut et fort : « C’est moi qui ai blessé Berland. Je lui ai coupé les parties. J’en ai coupé plus que j’en ai laissé ».

Pressée de questions, Prudence donne plus de renseignements. Elle raconte que Berland la harcelait sans cesse et que tentant une énième fois de la violer, elle prit un couteau et le blessa de manière à ce « qu’il en porte les traces toute sa vie ». Le trait de courage de la femme suscite l’admiration de tous les habitants. Ces derniers lui conseillent de porter l’affaire en justice. Prudence se rend donc à la gendarmerie où elle porte plainte contre son agresseur pour viols et tentative de viol. L’enquête révèle cependant une toute autre version de l’histoire. Depuis plus d’un an, Prudence Bonnin a une liaison avec Pierre Berland qui vit seul. Cette relation charnelle n’est pas animée par la seule passion puisqu’en échange de ses faveurs, Prudence reçoit de nombreux présents. Du beurre, de la farine, du fromage lui sont offerts par son amant. Progressivement, Prudence devient de plus en plus exigeante. Les biens périssables ne lui suffisent plus. Elle réclame de l’argent. Elle ne dispensera ses prochaines caresses qu’en échange de la somme de 100 francs. Berland, propriétaire d’une petite exploitation, accepte. Il promet de lui donner la somme quelques mois plus tard lorsqu’il aura vendu ses foins. Le 3 février 1845, comme à son habitude, Pierre Berland attend le départ du mari de Prudence. Vers 10h, il arrive au domicile de sa maîtresse. Il la trouve en compagnie de son enfant. Pour se débarrasser de ce fardeau encombrant, Berland donne au gamin deux sous et lui demande d’aller voir si les poules ne ravagent pas les salades du jardin. Maintenant seul, le couple grimpe dans une chambre obscure et s’enferme à clé. Berland se livre aux gentillesses de Prudence. Il déboutonne son pantalon. Soudain, il ressent une vive douleur. Du sang dégouline le long de sa jambe. Effrayé par ce qu’il vient de lui arriver, Berland s’enfuit de la maison. Humilié, il ne porte plainte que quelques jours plus tard auprès du garde champêtre. La version de Prudence ne tient plus.

Le procès s’ouvre à Poitiers le 5 mai 1845. L’audience se tient à huis clos. Prudence comparaît avec son mari, qui aurait aiguisé le couteau, pour tentative de castration et complicité. Les débats ne permettent malheureusement pas de comprendre le mobile de ce geste. S’agit-il d’un acte de vengeance ? Berland avait-il l’intention de ne jamais remettre l’argent promis ? Prudence subissait-elle avec réticence les ardeurs de son voisin ? Toujours est-il que Prudence Millet est reconnue coupable et condamnée à 6 ans de réclusion. Son mari est acquitté.

Sources : Archives départementales de la Vienne, 2 U 1570
Illustration : "Le défenseur", lithographie d'Honoré Daumier (1860-1863)

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