lundi 14 avril 2008

La bonne et le châtelain

Le 22 février 1886, le procureur de la République près le tribunal de Poitiers reçoit une lettre anonyme ainsi rédigée : « Monsieur, je viens vous prier de mettre fin aux scandales que fait Monsieur Rondier, près de Lusignan. Depuis trois ans, il aurait avorté une fille qu’il a détournée à l’âge de 15 ans. La rumeur publique dit qu’il doit y avoir des débris de ces avortements dans des cabinets d’aisance ». Devant la gravité des faits énoncés, une perquisition a lieu le 3 mars au château de Mureau, le domicile des époux Rondier. Les faits révélés par le billet se révèlent être exacts. Les gendarmes découvrent dans les latrines de la demeure, les restes d’un fœtus.

Un spéculum, une seringue, une canule à injection, objets utilisés lors d’un avortement, sont également retrouvés dans un placard. Le propriétaire des lieux étant absent, le juge d’instruction en charge de l’affaire commence son enquête en interrogeant les employés du château. Leur témoignage fait la lumière sur une sordide histoire.

La fille « détournée » par Rondier, évoquée dans la lettre anonyme, est une servante aujourd’hui âgée de 18 ans, Geneviève Millet. Elle entre au service des Rondier comme femme de chambre en 1883. Immédiatement, Octave Rondier, son maître, lui fait des avances. En instance de séparation avec sa femme, l’homme âgé de 41 ans aimerait que sa servante lui soit dévouée corps et âme. Quelques mois seulement suffisent pour qu’une liaison s’établisse entre eux. Tout le personnel du château est vite au courant de cette relation scandaleuse. Octave Rondier est réputé pour avoir des mœurs légères. Il est également le père de quatre enfants illégitimes qu’il a eu avec une ancienne domestique.

En 1883, Geneviève tombe gravement malade. Elle est prise de vomissements, de vertiges. Beaucoup pensent bien évidemment à une grossesse. Pour mettre fin à ces ragots, Octave rejoint sa maison de campagne située sur l’île d’Oléron. Il emmène Geneviève avec lui. A son retour, la jeune femme Geneviève, quoique encore un peu fatiguée, est miraculeusement guérie. En janvier 1886, le scénario se reproduit. Geneviève est atteinte des mêmes symptômes. La rumeur d’une autre grossesse reprend elle aussi. La rémission de la jeune fille se fait rapidement. Cette fois, Geneviève est beaucoup moins discrète. Elle confie à ses parents qu’Octave a non seulement « fait couler » sa grossesse mais qu’il s’est débarrassé du fœtus. C’est à partir de ce moment que l’affaire est remontée aux oreilles de la justice. Interrogés par le juge d’instruction, Geneviève et Octave nient fermement les faits qui leur sont reprochés. Geneviève avoue qu’elle état bien enceinte de son maître, mais la perte de son enfant est uniquement le fait d’une fausse couche et non de l’utilisation de manœuvres abortives.

Le procès qui débute à Poitiers le 27 mai 1886 s’annonce donc difficile. En effet, tout le dossier repose uniquement sur des témoignages et non sur des faits précis. De plus, Octave Rondier et Geneviève Millet continuent de clamer leur innocence. Au cours d’une plaidoirie époustouflante, l’avocat de la défense, maître Séchet, met en cause la faiblesse du dossier. Il n’en fallait pas plus pour convaincre les jurés. Après une délibération expéditive, ils déclarent les deux accusés non coupables.


"Vous étiez seule pour le tuer"
"Nous étions deux pour le faire..."

Sources : 2 U 1726
Illustrations : Dessins de Jossot dans l'Assiette au Beurre (1904)

Aucun commentaire: