mardi 22 avril 2008

La fratricide de Naintré

Le 11 décembre 1923, un cadavre est repêché dans le canal des turbines de la Manufacture d’armes de Châtellerault. Immédiatement, on fait le rapprochement avec la disparition mystérieuse, il y a un mois, de Pierre Picard, un habitant du Bouchot-Marin, commune de Naintré. Selon les dires de sa sœur, Eugénie, le retraité de 66 ans avait précipitamment quitté son domicile avec un fusil et son argent. L’autopsie réalisée le lendemain, révèle que la victime a reçu plusieurs coups sur le crâne. Arrêté par les gendarmes de Châtellerault et de La Tricherie, Eugénie débute le macabre récit de son crime.

Pierre Picard, retraité de la compagnie des chemins de fer d’Orléans, vit seul dans sa maison du Bouchot-Marin. Sa femme a suivi un de leurs cinq enfants gravement malade, dans une clinique de Montreuil-sous-Bois. Malgré cela, aucune discorde ne semble régner au sein du ménage. En 1916, se sentant un peu seul, Pierre Picard demande à sa sœur Eugénie de venir habiter avec lui. La femme de 48 ans, décrite lors du procès comme « laborieuse mais d’une avarice extrême », visiblement intéressée par l’aisance de son frère, quitte Vellèches et s’installe à Naintré. A partir de 1921, les premiers différents naissent au sein de cette nouvelle cohabitation. L’argent dépensé par chacun, la venue des enfants de l’autre et la pensée du retour de la femme Picard sont au centre de toutes les discussions.

Le 15 novembre 1923, une nouvelle dispute éclate. Vers 20h, alors que Pierre Picard transporte du bois dans sa grange, Eugénie sort à son tour munie d’une barre de fer. Lorsque son frère se baisse pour ramasser une bûche, Eugénie accourt et lui assène plusieurs coups terribles sur la tête. Son forfait accompli, Eugénie, avec sang-froid, entoure la tête de sa victime d’un sac plastique pour empêcher le sang qui coule en abondance de se répandre sur ses vêtements. Ayant l’habitude de mettre en bière les morts du village, elle transporte le corps sur son épaule et le jette dans le Clain. Elle se débarrasse ensuite de la barre de fer près de la voie ferrée et brûle tous les objets tachés de sang. Elle met également à l’abri tout ce dont les héritiers pourraient réclamer. Au total, 112 bouteilles de vin, 8000 francs en bon de la défense nationale et 300 francs en numéraire seront découverts chez une voisine, la veuve Edmond.

Le procès de la fratricide de Naintré et de sa complice s’ouvre à Poitiers le 20 mai 1924. Eugénie Picard est vêtue modestement d’un corsage de cheviotte gris foncé, d’un large tablier et coiffée d’un cabriolet noir. Elle pleurniche dans le coin de son box. La veuve Marie-Louise Edmond, 42 ans, inculpée de recel, est habillée en noir et porte un chapeau de paille. Elle apparaît très émue. Au cours des débats, des informations contradictoires sont données sur la moralité de l’accusée et de sa victime. Difficile de savoir qui étaient le plus avare et le plus violent des deux. A la fin de la session de nuit, la veuve Edmond est finalement acquittée. Eugénie Picard est condamnée à 10 ans de travaux forcés. Au moment de quitter le palais de justice, « elle passe au milieu de la foule, petite chose grise, insignifiante, qui se dandine attachée au poignet d’un gendarme ».

Sources : L’Avenir de la Vienne
Illustrations : Le barrage de la Manufacture d’armes où a été retrouvé le cadavre de Pierre Picard

1 commentaire:

Pierre MAIRÉ a dit…

Un sac plastique... en 1923 ?