samedi 26 avril 2008

La vengeance de la couturière deshonorée

C’est lors d’un bal organisé dans l’établissement Vallée, situé dans la commune du Poinçonnet, que Lucien Ferré fait la connaissance de la fille du patron, Maria. Rapidement, les deux adolescents, âgés respectivement de 21 et 18 ans, s’éprennent l’un de l’autre. Chaque soir, ils se retrouvent dans le bois de l’Arnault. En 1901, alors que Lucien est parti effectuer son service militaire, Maria découvre qu’elle attend un enfant. Pour éviter le déshonneur d’une naissance illégitime, la jeune fille est envoyée à Paris par ses parents. Là-bas, elle donne naissance à une petite fille et travaille comme nourrice jusqu’en 1905. Lors de ces quatre années, les deux amants entretiennent une correspondance assidue et profitent de leurs permissions respectives pour se retrouver dans l’Indre.

A son retour de Paris, la vie semble reprendre son cours pour Maria. Elle est employée comme couturière à l’usine des « 100 000 chemises » de Châteauroux et Lucien évoque même l’idée d’un mariage. Mais au début de l’année 1908, le ventre de Maria s’arrondit une nouvelle fois. Lorsqu’elle annonce la nouvelle à Lucien, celui-ci n’a pas la réaction escomptée. Il lui offre maladroitement de l’argent pour qu’elle avorte. Le 11 juin 1908, Maria, inquiète, demande à Lucien de prendre ses responsabilités. Soit il l’épouse comme il l’avait promis, soit il lui donne de quoi élever ses deux enfants. Lucien tergiverse, demande du temps pour réfléchir. Furieuse, la couturière se rend à Châteauroux et achète 400 grammes d’acide sulfurique. Le 24 juin 1908, à 22h30, Maria et Lucien se retrouvent dans les bois de l’Arnault. La jeune femme réitère sa demande. « Tu n’as qu’à vendre ta bicyclette et ta machine à coudre pour te faire de l’argent », lui répond, froidement, Lucien. Désespérée, Maria rentre au domicile familial où une mauvaise surprise l’attend Son père vient d’apprendre sa grossesse. Fou de rage, il accuse sa fille de faire entrer le déshonneur une deuxième fois dans sa maison et menace de la chasser. Cette fois, c’en est trop. Maria verse l’acide sulfurique dans une boîte de conserve et décide de se venger de celui qui l’a abandonné après l’avoir rendu mère. Vers minuit, elle frappe à la fenêtre de la chambre de Lucien. L’homme ouvre la croisée. Maria le supplie de l’aider. « Me voilà sur le pavé, je suis sans vêtement, sans gîte ou vais-je aller ? », lui clame-t-elle. Face à l’inertie de Lucien, Maria lui prend alors les mains et, feintant un geste de tendresse, lui jette le vitriol en plein visage. Malgré les soins apportés par un médecin, Lucien a une partie du visage et du cou complètement brûlée. Il doit subir une ablation de l’œil droit.

Le procès de l’ouvrière des « 100 000 chemises » s’ouvre à Châteauroux le 22 décembre 1908. Cette affaire sensationnelle dans le monde ouvrier féminin a réuni une assistance nombreuse au palais de justice. « Aussi distingue-t-on beaucoup de représentants du « beau sexe » dans l’auditoire », écrit un journaliste. Les débats sont plutôt favorables à l’accusée. Le témoignage de Marcel Hautreux, directeur de l’usine, fait forte impression sur les jurés. « Maria est une jeune femme courageuse comme j’en ai rarement vu. Sa place est toujours libre. Elle rentrera quand elle voudra aux 100 000 chemises », dit-il à la barre. Maria Vallée est finalement déclarée non coupable. Des applaudissements chaleureux et une véritable ovation accompagnent sa sortie du tribunal.

Sources : Le Journal du département de l’Indre
Illustrations : Vue de l’usine des 100 000 chemises, drame au vitriol faisant la Une du supplément illustré du Petit Journal (coll. privée)

2 commentaires:

Ellie a dit…

Une féministe avant l'heure. Dis donc, c'est pas les crimes du lundi chez nous, c'est le samedi la parution.
Sinon, elle avait un sacré tempérament, la petite main !

Anonyme a dit…

Dans la Vienne, c'est tous les lundis d'où le nom... Dans l'Indre c'est en fonction de l'actualité. Généralement, c'est quand même plus le mardi.

La semaine prochaine encore une femme qui se sert de ses mains mais pas pour faire de la couture...