jeudi 10 avril 2008

L'empoisonneuse de La Vernelle

Le lundi 25 mars 1912, Léontine Saulas, ménagère au village de La Vernelle, ne tient plus en place. La femme de 30 ans attend avec impatience le retour de Germaine Dubois qui doit lui rapporter un produit miracle, celui qui va changer sa vie. Dans l’après-midi, la jeune voisine de 15 ans arrive enfin. Comme prévu, elle a en sa possession les cinq grammes d’arsenic achetés chez un pharmacien de Selles-sur-Cher. « Surtout, ne dis rien à mon mari », prévient Léontine en expliquant que le produit servira à empoisonner les rats qui envahissent sa maison. Mariée à Auguste Saulas, un honnête journalier de 39 ans, Léontine ne supporte plus la lassitude qui a envahie son couple. Aujourd’hui, elle est amoureuse d’un autre. Elle s’est éprise de Sylvain Petit, garçon farinier au moulin du bourg. Comme l’homme de 24 ans a refusé de s’enfuir avec elle, Léontine n’a plus le choix : il lui faut se débarrasser à jamais du lourd fardeau qui l’empêche d’être heureuse.

C’est en lisant un article dans le Petit Parisien, relatant l’histoire d’une femme qui avait empoisonné son mari, qu’elle eût l’idée de l’arsenic. Deux jours plus tard, à 11h30, Auguste Saulas rentre de son travail pour déjeuner. Au menu, Léontine a préparé de la soupe et du lapin. Auguste absorbe quelques cuillérées du potage. Il grimace. Le breuvage a un goût âpre. Il ne le finit pas. Le lapin, lui aussi, est immangeable. Dans l’après-midi, Auguste est pris de violents vomissements. Il brûle de l’intérieur. Le mal lui scie le corps en deux et l’oblige à s’aliter. Malgré les soins prodigués par le docteur de Selles-sur-Cher, le robuste gaillard trépasse le lendemain. Immédiatement, la rumeur accuse Léontine d’avoir tué son mari. Les gendarmes de Valençay sont alertés. Une autopsie est réalisée. Plusieurs organes sont prélevés et envoyés au directeur du laboratoire de toxicologie à la préfecture de police de Paris. Les résultats sont formels : Auguste Saulas a bien été empoisonné avec de l’arsenic. Après quelques timides dénégations, Léontine finit par avouer son crime.

Le procès de l’empoisonneuse de La Vernelle se tient au palais de justice de Châteauroux les 17 et 18 juin 1912. La foule s’est pressée nombreuse pour apercevoir les traits de celle que l’on compare à Marie Lafarge (condamnée en 1840 à Tulle aux travaux forcés à perpétuité pour avoir empoisonné son mari. Georges Sand s’indignera du déroulement du procès) ou à la marquise de Brinvilliers (condamnée à mort et exécutée en 1676 après l’Affaire des poisons). Léontine est une petite brune au teint jaune et aux yeux et cheveux noirs. Au cours des débats, l’accusée, tout de noir vêtue, ne cesse de pleurer, dissimulant son visage dans un mouchoir. « Je viens vous demander la peine des empoisonneuses : la peine capitale », s’exclame le procureur de la République au cours de son réquisitoire. Malgré l’éloquente plaidoirie de Me Brisson, l’avocat de la défense, qui parle d’un « crime passionnel, si rare dans notre calme et beau pays », Léontine est condamnée à mort. C’est la première fois depuis l’affaire Paviot (1887), que la peine capitale est prononcée par le jury de l’Indre. Comme ce fut le cas pour toutes les femmes condamnées à mort au cours de la Troisième République, Léontine est graciée. Sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité.

Sources : Journal du département de l'Indre
Illustration : Le moulin de La Vernelle où travaillait l'amant de l'accusée (Archives départementales de l'Indre)

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