mercredi 16 avril 2008

Le "Grand-Maigre" de Saint-Gaultier

« Les enfants mendient, les femmes donnent la bonne fortune, s’introduisent avec la dernière audace dans le domicile des citoyens et commettent des vols. Quant aux hommes, il peut y en avoir d’honnêtes mais c’est l’exception. La plupart sont des voleurs et des hommes dangereux, capables de tout », telle est la vision des « nomades » offerte à la fin du XIXème siècle par un journaliste du Moniteur de l’Indre. Dans l’imaginaire collectif, le mode de vie itinérant se confond souvent avec le vol, voire l’enlèvement d’enfants. Ainsi, l’arrivée de trois roulottes de saltimbanques, le 23 juin 1881, à Thenay, attise forcément la méfiance des habitants. Parmi les occupants des voitures se trouvent la famille Steinbach et les frères François et Baptiste Chevallier, acrobates et vanniers messins, surnommés respectivement le Grand-Maigre et l’Homme Serpent.

Vers 23h, après un passage au cabaret de Thenay, une violente altercation éclate entre François Chevallier et son ami Sylvain Steinbach. Ce dernier vient de donner un soufflet au visage de sa compagne, Ursule Wagner, qui n’est autre que la tante du Grand-Maigre. Les deux hommes en viennent en main. Le Grand-Maigre délivre un premier coup de poing dans la poitrine de son adversaire avant de recevoir à son tour un coup de bâton. Alors qu’Ursule tente de séparer les deux combattants, c’est au tour de Baptiste Chevallier de se jeter dans la bagarre. Il se saisit du bâton et assène un coup sur le dos de Steinbach. Celui-ci, visiblement irrité, s’enfuit vers Saint-Gaultier. Il clame haut et fort qu’il va dénoncer les deux frères à la gendarmerie. François Chevallier, qui ne veut pas en rester là, décide de partir à sa rencontre. Pour cela, il se munit d’un énorme échalas arraché dans une vigne voisine et se poste sur le pont de Saint-Gaultier. A minuit, Steinbach apparaît enfin. Le deuxième round peut commencer. Le Grand-Maigre se jette sur son adversaire et le roue de coups de bâton. Steinbach, le crâne brisé, tombe inerte sur le sol. Pour effacer toute trace de son forfait, Chevallier se saisit du corps et le jette par-dessus le parapet du pont. Le lendemain matin, des tâches de sang sont découvertes sur le lieu du crime. On pense immédiatement à un meurtre. Deux pêcheurs inspectent les rives de la Creuse et retrouvent rapidement le cadavre. Le juge de paix, appelé pour constater les faits, constate, aux vues de ses vêtements, que la victime appartient aux nomades arrivés la veille. Le soir même, « la tribu » est interpelée à Prissac et reconduite à Saint-Gaultier. Le principal suspect n’est pas avec eux. Il a pris la fuite de son côté.

François Chevallier est arrêté un mois plus tard à Matha en Charente-Inférieure (actuelle Charente-Maritime). Le procès du Grand-Maigre s’ouvre à Châteauroux le 2 septembre 1881. Les débats durent deux jours. La présence dans l’assistance des compagnons d’errance de l’accusé confèrent aux débats une atmosphère singulière. Lors de son interrogatoire, François Chevallier répond aux questions qui lui sont posées d’une façon « claire et suffisamment correcte pour un homme de sa condition », pour reprendre les termes d’un journaliste. Le Grand-Maigre est finalement condamné aux travaux forcés à perpétuité. La morale de la complainte composée à l’occasion de cette histoire pourrait servir de conclusion : « La punition équitable de ce crime abominable, mes amis, vous prouve bien qu’il faut suivre le droit ch’min, et rester homme de bien, même quand on est bohémien ».

Sources : Le Moniteur de l’Indre
Illustrations : Le supplément illustré du
Petit Journal de 1911 sur les Bohémiens considérés comme kidnappeurs d’enfants (coll. privée)

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