jeudi 10 avril 2008

Les religieuses lui font vivre un enfer

Geneviève Billy a une existence des plus tumultueuses. Après avoir fui le domicile parental, la jeune femme d’une vingtaine d’années erre de ville en ville avant d’arriver à Poitiers où elle tombe dans la prostitution. Au mois de novembre 1842, Geneviève, enceinte, atteinte d’une maladie vénérienne et ayant nulle part où aller, est recueillie dans la rue par une sage-femme, avant d’être placée dans le couvent de la Visitation. Auprès des religieuses, Geneviève accouche et abandonne son enfant. Puis, guérie de la maladie infâme dont elle était porteuse, elle entre chez les Hospitalières de Pont-Achard. Sur les recommandations de la supérieure de cet établissement, Geneviève est finalement admise, le 1er juin 1843, à la maison du Bon Pasteur, située rue des Feuillants. Il est convenu qu’au bout d’une semaine, si la « repentie » ne s’habitue pas à sa nouvelle position, elle pourra retrouver la liberté.

Le délai passé, la sortie promise lui est refusée. Commence alors pour Geneviève un véritable calvaire. Face à ses plaintes incessantes, Elisabeth Despinois, dite Mère du Sauveur, âgée de 32 ans, perd patience. La religieuse empoigne Geneviève par les oreilles, la traine de force jusque dans la salle de la classe et la pousse violemment sur une chaise. Choquée, la fille Billy veut se retirer mais sur l’ordre de la supérieure, plusieurs pénitentes la maltraitent. Huit jours après cette scène, Geneviève ne pouvant réciter correctement sa sentence, plusieurs pénitentes la conduisent dans la prison du couvent et lui coupent les cheveux afin de « lui faire passer l’envie de sortir ». Le 25 juillet, Geneviève, affaiblie par tous ces mauvais traitements, ne peut assister à la messe et reste alitée. La mère du Sauveur monte au dortoir, arrache la couverture, appelle les pénitentes qui, au nombre de dix, se déchainent sur la malheureuse à coups de pieds, de poings et de martinet. Geneviève est de nouveau emprisonnée pendant deux jours, sans nourriture, couchée presque nue sur de la paille, les mains liées derrière le dos. Lorsqu’on la libère enfin, la malheureuse, épuisée, s’évanouit. La mère supérieure l’autorise alors à quitter la maison. Geneviève Billy est hospitalisée à l’Hôtel-Dieu dans un état critique. Une enquête est ouverte. Sur les onze sœurs inculpées, seule Monique Marchand, dite Madeleine de la Miséricorde, âgée de 44 ans, avoue avoir asséné un soufflet à la victime.

Le procès des sœurs du Bon Pasteur se déroule à Poitiers les 18 et 19 novembre 1843. Seules deux accusées, Elisabeth Despinois et Marie-Louise Léger sont revêtues de leurs vêtements de religieuses : coiffure blanche avec la béguine prenant sous le menton et descendant à la ceinture ; un cœur en argent retenu par une chaîne passée dans le cou ; un chapelet et un cordon bleu pendant sur les cotés. La singularité de cette affaire a attiré de nombreux curieux au palais de justice, ainsi que des membres du clergé. Face aux actions honorables de l’ordre, le témoignage de l’ancienne fille publique, dont la moralité déplorable est étalée par les avocats de la défense, pèse bien peu lourd. Monique Marchand, la seule à avoir reconnu les faits, est condamnée à trois mois d’emprisonnement. Les autres religieuses, ayant pourtant fait le serment de dire la vérité, n’avouerons rien. Elles seront acquittées.

Sources : Archives départementales de la Vienne, 2 U 1561
Illustration : Dessin de Jossot dans l'Assiette au Beurre de 1902

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