lundi 14 mars 2011

Tragique querelle de bouchers

Encore une affaire se déroulant à Châtellerault sortie des cartons... 

Lorsque l’accusé pénètre dans le prétoire le 26 novembre 1859, la flopée de curieux présente dans la salle d’audience du tribunal de Poitiers est déconcertée. Impatiente de croiser le regard de ce boucher, dont les mains déjà rougies par le sang des animaux portent maintenant celui d’un homme, la foule n’entrevoit à sa grande déception, qu’un minot « à peine formé », tout juste âgé de 16 ans. Devant lui, sur la table des pièces à conviction, est posé le tablier encore teinté du sang de la victime. A côté, en évidence, se trouve le dépeçoir, outil de travail devenu une arme meurtrière entre les mains du prévenu.

Aux questions qui lui sont adressées, celui-ci déclare se nommer Delphin Adolphe Roy, être né à Naintré et exercer la profession de garçon-boucher. Ainsi débute son procès.

Depuis plusieurs mois, la corporation des bouchers de Châtellerault est déchirée par des rivalités internes. L’abattoir communal, rendez-vous obligé des étaliers, est quotidiennement le théâtre d’injures et de provocations. De tous ces heurts, la haine que se vouent Léon Bachelier, plus grand boutiquier de la ville, et Davignon « le borgne » dont les affaires sont beaucoup moins florissantes, est sans aucun doute la plus virulente. La moindre étincelle suffirait à donner à cette animosité une issue tragique. Ce sont finalement les paroles d’une chanson sifflotée par Léon Bachelier et son apprenti, Louis Ferrand, qui attisent les rancoeurs et les jalousies trop longtemps contenues. « Travailles donc volontaires pour nourrir tes petits poupons », ces mots dirigés à l’encontre de la fille Davignon, mère d’un enfant illégitime, suffisent à déclencher la colère de l’artisan rival et de son employé, Delphin Roy.

Excités par leurs patrons respectifs, les deux garçons-bouchers se jettent l’un sur l’autre. La lutte est inégale. Roy, de plus faible constitution, est très vite terrassé par son adversaire. Dans un moment de confusion, il parvient à se saisir du tranchoir accroché à sa ceinture. Il frappe de toutes ses forces, au hasard. Le bruit de la lame transperçant la chair, le sang dégoulinant et l’écho d’un cri sourd résonnant dans tout le bâtiment arrêtent brusquement les hostilités. Tous restent figés, le silence s’installe, les secondes s’égrainent. Ferrand, plié en deux la main sur le ventre, s’effondre sur le sol. Bachelier se précipite près du corps de son jeune commis. Aux appels à l’aide, le meurtrier ne bouge pas. Il reste là, impassible, à contempler l’agonie du malheureux. Ferrand sera la victime de cette querelle de métier.

Les débats de son procès terminés, Roy sait pertinemment que la non préméditation de son crime plaidée par son avocat est sa seule chance d’éviter une lourde peine. Malgré quelques témoignages à charge accablants, les jurés concluent qu’il n’a fait que répondre aux provocations de son adversaire. C’est avec un léger soulagement, qu’il prend alors connaissance du verdict : six mois d’emprisonnement.

Sources : Archives départementales de la Vienne, 2 U 1643
Illustration : Un drame mettant en scène un boucher, Supplément illustré du Petit Journal.

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