lundi 12 mai 2008

Drame de l'amour à la Cueille Mirebalaise

« C’est un roman d’amour qui finit dans le sang et au milieu de la honte d’un tribunal ». Voici comment maître Poulle évoque, au cours de sa plaidoirie, l’affaire jugée devant la cour d’assises de la Vienne le 19 novembre 1907. Les deux protagonistes de ce drame sont deux adolescents poitevins. Elle, se nomme Lucie Vignault, 15 ans. Elle réside chez ses parents rue de la Chaume de la Cueille à Poitiers et vient de terminer son apprentissage de couturière. Lui se nomme Gaston Liège. Il est âgé de 20 ans et est cimentier à Chinon. Ses parents habitent boulevard Pont-Achard. C’est au cours d’un dîner, en 1905, que Lucie retrouve Gaston, celui qui fut jadis le premier compagnon de ses jeux d’enfant. Malgré la différence d’âge, le garçon s’éprend follement de la petite couturière.

Rapidement, il obtient même des parents de la fillette une promesse de mariage. Gaston a un comportement digne. Jamais il n’a essayé de profiter de celle qu’il décrit comme « une jeune fille comme il faut ». Cependant, au bout de 18 mois de cette amourette, Gaston se montre de plus en plus pressant. Une lettre rédigée par Lucie le 12 juillet 1907, attise son impatience. « Je ne dis pas non au mariage, mais plus tard. Je suis trop jeune. Fais les deux ans de ton service militaire et à ton retour nous verrons », écrit-elle. Deux jours plus tard, Gaston arrive à Poitiers. Il se rend immédiatement chez les époux Vignault. Le garçon implore Lucie de l’épouser prochainement mais celle-ci reste obstinée dans sa décision de repousser leur union. Devant cette indifférence, cette « sécheresse du cœur », Gaston devient fou. Il rentre furieux chez ses parents, écrit un billet qu’il dépose sur son lit : « Nous mourrons tous les deux ». Il part ensuite acheter un revolver « solide et qui ne rate pas » chez un armurier de la rue Carnot. Vers 15h, sous le prétexte de deux photographies oubliées, Gaston retourne voir Lucie. Une nouvelle discussion a lieu. La jeune fille ne revient pas sur sa décision. « C’est donc fini, mademoiselle », s’exclame Gaston, désespéré. Le jeune homme demande à prendre une dernière fois la main de celle qu’il aime. Lucie la lui tend, souriante. Gaston se saisit alors de son revolver, l’applique sur le front de la fillette et appuie sur la détente. La malheureuse tombe, foudroyée. La dame Vignault et son mari, sous le choc, se précipitent sur le meurtrier qui parvient à s’enfuir. Arrivé chez lui, le garçon s’enferme dans sa chambre. Trois détonations retentissent. Gaston a tenté de mettre fin à ses jours. Hospitalisé en urgence à l’Hôtel-Dieu, il s’en sortira miraculeusement aux dires des médecins.

Le 19 novembre 1907 s’ouvre le procès en cour d’assises du « drame de l’amour de la Cueille». Les portes du palais de justice sont à peine entrouvertes que la foule se précipite à l’intérieur. Gaston Liège est un jeune homme de taille moyenne. Il porte une forte moustache blonde. Au cours de son réquisitoire, le substitut général demande aux jurés d’accorder les circonstances atténuantes. L’accusé évitera ainsi la peine capitale. Le représentant du ministère public a été entendu. Gaston Liège est condamné à huit ans de travaux forcés. Au cours de sa plaidoirie l’avocat de la défense tient ces propos : « Il n’a qu’un désir, celui de se réhabiliter. Si les jurés lui rendent la liberté, il contractera un engagement dans notre armée coloniale. Il tombera peut-être réhabilité en tombant pour son pays ». Gaston étant âgé de 20 ans en 1907, il y a de fortes chances pour que l’homme de loi ait dit vrai...

Sources : L’Avenir de la Vienne
Illustration : La Cueille mirebalaise à Poitiers, dessin de Henri-Pierre Lejeune 1932 (musée de la ville de Poitiers)

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