mardi 10 juin 2008

La faiseuse d'anges de la rue de l'Est

Cela fait trois ans que Madeleine Martineau a quitté les Deux-Sèvres pour venir travailler à Poitiers. Abandonnée par sa mère, élevée à l’hospice de Parthenay, Madeleine a d’abord exercé le métier d’infirmière aux Incurables avant d’être employée comme domestique chez un couple de négociants, les Vallet-Déchérat, résidant rue du Pont-Neuf. Bien qu’âgée de 27 ans, Madeleine ignore beaucoup des choses de la vie. Au début de l’année 1903, son ventre s’arrondit. Elle, qui jusque là a toujours été encadrée soit par les sœurs de l’hospice, soit par ses maîtres, est maintenant livrée à elle-même. Elle ment sur son état. Mais cacher les rondeurs qui s’affirment, dissimuler l’embonpoint qui chaque jour occupe un peu plus l’espace, demande de déployer des efforts considérables pour ne pas attiser la curiosité. Désespérée, Madeleine révèle son malheur à Désirée Vénien, une couturière qui travaille avec elle.

Celle-ci déclare connaître une faiseuse d’anges. Le 8 février, un rendez-vous est organisé. A 16h, Madeleine est postée rue des Cordeliers. Une personne vêtue de noir s’approche d’elle. « C’est vous la bonne qui a besoin d’aide », chuchote-t-elle. Madeleine acquiesce d’un signe de la tête. « Ne parlons pas, je suis peut-être surveillée, on pourrait me voir », reprend l’inconnue. Les deux femmes se dissimulent dans une rue voisine pour discuter de l’affaire. L’avorteuse dit s’appeler Marcelle Ban. Elle propose à Madeleine de venir la voir le soir même. « Tout sera réglé pour la somme 100 francs », dit-elle. Hésitante, devant réunir toutes ses économies, Madeleine demande un délai de réflexion. Celui-ci est de courte durée. Le lendemain, Madeleine a pris sa décision. Ses économies en poche, elle quitte la rue du Pont-Neuf et se dirige vers le centre-ville. Le trajet est interminable. Madeleine est épuisée. A 19h, elle arrive dans le quartier des Arènes. Elle sonne au n° 31 de la rue de l’Est (actuelle rue Bourcani). La femme Ban lui ouvre la porte. Madeleine traverse la salle à manger puis pénètre dans une petite chambre. La femme Ban lui demande alors de s’appuyer contre le lit et d’écarter les jambes. Elle se saisit d’une poire à lavement et injecte une solution d’eau vinaigrée. Lors de cette épreuve douloureuse, Madeleine aurait souhaité entendre quelques paroles rassurantes. « Pensez à jeter le fœtus dans la rivière ou dans une rue déserte. Et, si jamais, ça ne passe pas revenez me voir », tel est le seul réconfort proposé par la femme Ban. Sur le chemin du retour, la domestique ressent de violentes brûlures dans le bas-ventre. Elle ne peut pas rentrer chez ses maîtres dans cet état là. Elle trouve refuge chez la femme Vénien. Les douleurs deviennent vite insupportables. Tôt, le lendemain, Madeleine expulse un fœtus, sans vie. Une sage-femme est appelée en urgence. Elle en déduit que l’accouchement a été provoqué par des manières abortives. Les deux femmes sont arrêtées.

Le procès de Madeleine Martineau et Marcelle Ban s’ouvre à Poitiers le 19 mai 1903. L’affaire ayant fait grand bruit dans la capitale poitevine, une foule nombreuse s’est amassée dans le prétoire. Au cours des débats, à aucun moment, il n’a été question de la responsabilité du géniteur. La faiseuse d’anges est condamnée à cinq années de réclusion. Madeleine Martineau a un an de la même peine.

Sources : L’Avenir de la VienneIllustration : Couverture de l’Assiette au Beurre, le contrôle des naissances, dessin de Jossot, 1904

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