mardi 3 juin 2008

Le fratricide de la Chapelle-Morthemer

A la mort de leur père en janvier 1855, Alfred et Armand Chevet héritent du domaine familial de l’Altrie, près de la Chapelle-Morthemer. Bien que domiciliés l’un et l’autre à Poitiers, ils se rendent régulièrement dans leur nouvelle maison de campagne. Les deux frères ont un caractère totalement opposé. Alfred, 33 ans, est calme, a été bon soldat et semble gérer au mieux les finances de la fratrie. Armand, 24 ans, est beaucoup plus indiscipliné et dépensier. Impulsif, il a multiplié les condamnations pour insubordination lors de son service militaire. Il a même déserté allant se réfugier en Espagne.

Le 10 octobre 1855, après avoir passé plusieurs jours à Poitiers, Armand rentre à l’Altrie. Dans ses bagages, il rapporte une jeune femme de 22 ans, Marie Deshoulières, qu’il a engagée comme domestique. Celle-ci travaillait dans une auberge de la rue des Trois-Piliers lorsque le cadet des Chevet lui a proposé de venir s’occuper de sa maison. Vers 18h30, Armand et Marie arrivent à la Chapelle-Morthemer. Il fait nuit noire. Ils pénètrent dans la cuisine. La domestique actuelle de la maison, Rosalie Gorin, 36 ans, est attablée. Alfred est installé devant la cheminée. Il discute et fume avec le garde particulier du domaine. « Je vous présente ma gouvernante », clame alors fièrement Armand en désignant Marie Deshoulières d’un mouvement de la main. Cette entrée en matière extravagante n’est pas du goût d’Alfred et de Rosalie. Le premier reproche les dépenses inutiles de son frère. « Tu n’es qu’un vaurien, un mange tout », s’exclame l’aîné des Chevet, en ajoutant qu’une seule domestique au service de la maison est largement suffisante. Rosalie menace de partir si jamais une seconde servante est employée en plus d’elle. La discussion s’envenime rapidement. « J’ai un poignard empoisonné dans ma poche », lance le plus jeune des deux frères. En réponse à cette menace, Alfred s’arme de son fusil. Voulant éviter un drame, Rosalie et Marie se mêlent à la dispute. La confusion est totale. Alfred perd alors son sang-froid. Il met en joue son frère et fait feu. Armand est touché en plein cœur. La panique règne dans la maison. Le garde-particulier et les deux domestiques s’enfuient. Une seconde détonation retentit. Alfred vient d’achever son frère.

Le fratricide de la Chapelle-Morthemer est jugé à Poitiers le 23 novembre 1855. Très tôt, la salle des pas perdus est assiégée par une foule impatiente de croiser les traits de l’accusé, « cet enfant de notre ville et appartenant à une honorable famille », pour reprendre les termes d’un journaliste. L’avocat général se montre sévère sur le rôle joué par les deux domestiques : « C’est parce que deux femmes se sont trouvées en face d’eux, qu’une tombe s’est prématurément ouverte », dit-il au cours de son réquisitoire. Sur le banc de la défense, le célèbre avocat, Me Duplaisset, plaide avec vigueur la légitime défense et la moralité dégradée de la victime. Alfred Chevet est condamné à 20 ans de travaux forcés. Il embarque le 14 mars 1856 pour Cayenne. Germain Chevet décèdera, moins d'un an après sa déportation, le 6 mars 1857 sur l'Ilet La Mère (au large de Cayenne) en Guyane (information donnée par Yvan Aumont).
Sources : Le Journal de la Vienne
Illustration : La salle des pas perdus du palais de justice de Poitiers

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