mercredi 11 juin 2008

Une bouche de trop à nourrir

Les habitants du faubourg Saint-Abdon à La Châtre sont unanimes. Depuis que Pierre Chéramy fréquente moins assidument les cabarets, son attitude est devenue des plus honorables. Auparavant, régulièrement pris de boisson, le vigneron de 38 ans se montrait violent envers sa femme, Joséphine, et ses trois enfants, Clémentine, Etienne et Rogette, âgés de 13, 11 et 4 ans. A l’annonce de l’arrivée d’un quatrième enfant pour l’été 1887, il avait même menacé de se débarrasser de l’enfant dès sa naissance. Depuis, il s’est ravisé. Le 15 août 1887, Pierre se rend chez un boulanger de la ville. Ayant dépensé en tabac et en eau-de-vie la seule pièce qu’il avait en poche, il demande à l’artisan de lui faire crédit. Ce dernier refuse. Chéramy a déjà une ardoise de 12 francs. Pierre repart, effondré. Il aurait dû mettre à exécution son morbide dessein et éliminer cette bouche supplémentaire à nourrir.

Vers 10h, Joséphine Chéramy quitte le domicile familiale. Pierre pénètre dans la chambre où dort la petite Marie-Juliette, âgée d’un mois. Il referme discrètement la porte derrière lui. Dans un coffre, il se saisit d’une bouteille contenant l’acide sulfurique qu’il utilise habituellement pour nettoyer les fûts de vin. Il prend son enfant dans ses bras, lui ouvre la bouche et y déverse le poison. Des hurlements terribles résonnent dans toute la maison. Alerté, Ernest entre brusquement dans la pièce. Du liquide vert sort de la bouche et du nez de sa sœur. Affolé, le garçon interpelle son père. « Papa, papa ! Ma sœur saigne. Je vais chercher ma mère ». Pierre se veut rassurant. Il répond qu’il part travailler dans ses vignes et que sur le trajet il ira avertir Joséphine. Ernest est paniqué. Personne ne vient. Ne supportant plus les cris de douleurs de sa sœur, il part chercher sa mère. « Ma sœur crie. On lui voit comme du sang. Je crois que mon père a du lui faire du mal », lui dit-il, dans un état d’agitation extrême. Joséphine se remémore les propos tenus par son mari juste avant la naissance de sa fille. Elle accourt auprès de son enfant et envoie chercher un docteur. Les soins sont inutiles. La petite Marie-Juliette a la joue, le menton et la langue brûlés. Les langes sont également rongés sous l’effet du produit corrosif. L’enfant meurt quelques heures plus tard dans de terribles souffrances. Pierre Chéramy rentre innocemment chez lui dans la soirée. Les gendarmes l’interpellent immédiatement. Interrogé par le juge d’instruction, l’accusé fait des aveux complets. « C’est le chagrin qui m’a poussé à commettre ce crime. Je n’avais ni argent, ni pain à la maison. J’étais certainement fou car je ne savais pas ce que je faisais », explique-t-il.

Le 12 décembre 1887, le procès de Pierre Chéramy s’ouvre devant la cour d’assises de l’Indre. A midi, la salle est comble pour assister au dénouement de cette sordide affaire. L’interrogatoire de l’accusé terminé, les membres de la famille Chéramy sont appelés à venir témoigner à la barre. C’est Etienne qui entre en premier. « Le public semble se révolter à la pensée que la justice se serve des déclarations du fils pour l’accablement du père », écrit un journaliste. Joséphine Chéramy dépose à son tour. Elle est soutenue par un huissier. A la vue de son mari, elle éclate en sanglots et s’affaisse sur sa chaise. Elle semble pardonner à son mari. « C’est un bon mari et travailleur. S’il buvait de l’eau-de-vie et devenait de ce fait brutal, il demandait à chaque fois pardon. Un soir, il s’est couché sans manger pour en garder à ses enfants », dit-elle. L’aînée, Clémentine, fait un malaise. Avant d’être évacuée, elle demande la permission d’embrasser son père. Elle lui est accordée. Peut-être émus par ces marques d’affection, les jurés prononcent l’acquittement. Pierre Chéramy ressort libre du tribunal sous les applaudissements de la foule.

Sources : Le Journal du département de l’Indre
Illustration : La prison de La Châtre où a été incarcéré Pierre Chéramy

Aucun commentaire: