mardi 22 juillet 2008

Le "couple ignoble" de Bournand

Le 16 janvier 1946, le docteur Jean Sevestre de Loudun est appelé en urgence dans le village de Bournand, au chevet de la petite Denise Chatry âgée de 10 ans. Lorsqu’il se présente au domicile des époux Chatry, un couple de cultivateurs âgé de 43 ans, le médecin découvre la fillette agonisante sur son lit. Débutant son examen, l’homme de l’art est déconcerté par la maigreur excessive de ce corps de seulement 10 kilos, « soit le poids moyen d’un bébé normal de 16 mois », note-t-il dans son rapport. La fillette est si affaiblie, si décharnée, qu’immédiatement le médecin décide de la transporter à l’hôpital. « Je croyais emmener un cadavre dans ma voiture », déclarera-t-il plus tard au cours du procès. Malgré les soins prodigués, Denise décède le lendemain de son hospitalisation. Le praticien qui procède à l’autopsie est affirmatif : l’enfant est morte de privations. Le permis d’inhumer est refusé, une enquête est immédiatement ouverte.

Les gendarmes de Loudun n’ont aucune difficulté à réunir des preuves accablantes sur l’attitude ignoble de Joseph et Léontine Chatry. Dès l’annonce de la mort de la petite Denise, les langues de tous les habitants du bourg se délient. Plusieurs voisins déclarent aux gendarmes que les Chatry séquestraient leurs enfants en les enfermant à demi-nus dans l’écurie malgré le froid, avec seulement un morceau de pain pour nourriture. L’air de souffrance imprimé sur leur visage, leur saleté et leur état d’amaigrissement extrême leur inspiraient d’ailleurs la pitié. Dès qu’ils croisaient les enfants, ils en profitaient pour leur donner en cachette un peu de pain ou quelques friandises. Des assistantes sociales ont même été alertées par l’instituteur du bourg pour qu’elles mettent fin aux brimades dont le frère et la sœur étaient victimes. En vain.

Le procès du « couple ignoble » de Bournand s’ouvre à Poitiers le 20 novembre 1946. Au moment de la lecture de l’acte d’accusation, la foule nombreuse a du mal à imaginer une histoire aussi révoltante que celle des deux inculpés qui, froidement, ont contraint leur enfant à une terrible agonie. Au cours de son interrogatoire, Léontine Chatry récuse, avec un pâle sourire sur les lèvres, toutes les accusations portées contre elle. « J’aimais trop ma petite fille pour la priver de soins ou de nourriture comme on me le reproche », clame-t-elle sous l’indignation de l’auditoire. Pour sa défense, le mari déclare qu’il donnait bien de la nourriture à sa fille, mais en cachette, de peur que son épouse le batte. « Vous aviez le temps de réfléchir et d’intervenir d’une manière ou d’une autre », lui rétorque sèchement le président des assises. Lors de son réquisitoire, le substitut du procureur dit toute sa répulsion pour ce couple abominable et inhumain. Seule la peine de bagne peut convenir pour faire expier à de tels êtres une attitude impossible à qualifier. Joseph Chatry est condamné à 10 ans de travaux forcés. Léontine est condamnée aux travaux forcés à perpétuité. Le 7 octobre 1953, sa peine est commuée en 20 ans de travaux forcés. Emprisonnée à la centrale de Rennes, Léontine bénéficie de plusieurs remises de peine.

Sources : L’Avenir de la Vienne
Illustration : La marâtre de Bournand, photographie publiée dans l’
Avenir de la Vienne
Merci à Michèle Laurent pour les informations sur les bagnards

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