mardi 12 août 2008

Le destin tragique du médecin de Neuvy-Pailloux

En 1888, Marie Bordas, alors âgée de 14 ans, quitte, avec ses parents, la ville de Limoges pour s’installer à Paris. Pendant plusieurs années, la jeune fille est employée tour à tour dans un magasin de mode, dans une maison de deuil. En 1893, alors qu’elle travaille dans une fabrique de plumes, Marie fait la connaissance d’un étudiant en médecine, Léon Bassaget. Débute entre eux une relation amoureuse. Rapidement, le jeune homme lui avoue le terrible secret qui le ronge. Son nom, Bassaget, est un nom d’emprunt. Léon, qui s’appelle en réalité Anastay, n’est autre que le frère du lieutenant Anastay condamné à mort et guillotiné à Paris en 1892 pour avoir étranglé une vieille dame. Pendant trois ans, les parents de Marie vont entretenir le jeune homme le temps qu’il finisse sa thèse. Son diplôme en poche, le couple se marie civilement en 1896, dans le XIIème arrondissent. Après avoir exercé dans le Loiret, le médecin et sa femme s’installent, en 1903, dans l’Indre à Neuvy-Pailloux. Dans leur maison située place de la mairie, à l’angle de la Grand’rue et de la rue de la Gare, le ménage semble uni.

Le médecin, âgé de 39 ans, facilement reconnaissable à sa silhouette au teint de cire, à sa barbe grisonnante et taillée en pointe, ne tarde pas à se faire une belle clientèle. Cependant, le bonheur des Bassaget est terni par plusieurs éléments. La santé de Léon s’est beaucoup dégradée. Neurasthénique, il se soigne par des injections régulières de morphine. Marie, de son côté, est d’un caractère extrêmement jaloux. Elle ne supporte pas que son mari adresse la parole à une cliente sans qu’elle voit en elle une maîtresse. Alors, lorsque la rumeur attribue une liaison entre le docteur et Germaine Duché, une voisine âgée de 18 ans, les scènes deviennent de plus en plus vives et de plus en plus régulières. Le 23 juillet 1907, Léon est souffrant. Atteint de rhumatismes, il garde le lit toute la journée. Marie est auprès de lui. Une discussion s’élève entre les deux époux et se change rapidement en une dispute terrible. La jalousie de Marie vient de reprendre le dessus. Elle veut savoir si son mari la trompe avec la petite voisine. « Va chercher celle que tu dis être ta maîtresse, nous allons tirer l’affaire au clair », lui crie-t-elle. Marie devient hystérique et brise tout ce qui lui passe sous la main. Probablement surexcité par la morphine, Léon entre dans une colère noire à son tour. « Pars où je te tue ! », dit-il à sa femme en saisissant son revolver. Léon ouvre un tiroir de son bureau et sort plusieurs billets. Il lui donnera ce qu’elle veut pour vivre. Affolée, Marie dévale l’escalier et se précipite dans la pharmacie de son mari. Elle se munit d’une casserole émaillée, la remplit de vitriol. Elle revient dans la chambre. Son mari est accoudé sur le bureau en train de compter l’argent qu’il compte donner à sa femme. Marie s’approche et verse le contenu de la casserole sur le visage de son mari. Léon hurle de douleur. Le liquide corrosif lui coule sur tout le corps. Marie est elle-même brûlée au menton et aux mains. Pour essayer de calmer les souffrances qu’il endure, Léon déchire sa chemise et se dirige vers un seau d’eau. Marie s’empare alors du revolver qui était posé sur le bureau et se met à le poursuivre dans toute la maison. Elle tire une première fois mais manque sa cible. Léon passe dans le corridor. Il est presque dehors lorsque Marie se présente en face de lui. Cette fois, elle ne tremble pas. Léon est touché en pleine poitrine et meurt sur le coup.

Le 6 septembre 1907, Marie Bassaget est renvoyée devant la cour d’assises de l’Indre. « C’est l’affaire sensationnelle de la présente session. Les affaires passionnelles de cette nature, plutôt rares en Berry, ont attiré dans le prétoire un public aussi nombreux qu’élégant car c’est l’élément féminin qui domine et de beaucoup », écrit le chroniqueur du Journal du département de l’Indre. Marie Bassaget fait son entrée. C’est une brune plutôt forte au teint coloré qui s’exprime avec un fort accent. Au cours de sa plaidoirie, maître Gautier-Rougeville, du barreau de Paris, défend le geste de sa cliente ainsi : « Nous nous trouvons en présence d’un crime passionnel. Le cœur n’a pas de loi et la répression d’aujourd’hui n’empêchera pas d’autres de recommencer demain ». Après vingt minutes seulement de délibération, les jurés rendent un verdict négatif. Marie Bassaget est acquittée.


Sources : Le Journal du département de l’Indre
Illustrations : Comparution et exécution du lieutenant Anastay, frère de la victime dans le Supplément illustré du Petit Journal et dans le Progrès Illustré ; Vue de la rue de la Gare à Neuvy-Pailloux où résidaient le couple Bassaget

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