lundi 1 novembre 2010

Disparition de Jean-Paul Thibault

C'est avec une grande tristesse que j'ai appris ce week-end la disparition de Jean-Paul Thibault.

Maire de Villedieu, homme de gauche, avocat pénaliste réputé, défenseur de Mis et Thiennot, Jean-Paul Thibault avait gentiment accepté d'écrire la préface de mon ouvrage "Les Grandes Affaires Criminelles de l'Indre". Nous avions d'ailleurs dédicacé ensemble cet ouvrage au dernier salon du livre de Châteauroux. C'est un grand homme qui nous quitte aujourd'hui.


Quelques articles sur son combat pour la défense de Mis et Thiennot, sa vie, son parcours.

Voici un extrait de la préface rédigé pour l'ouvrage Les Grandes Affaires Criminelles de l'Indre :

A travers les procès que Vincent Olivier nous invite à suivre de façon passionnante et qui se sont déroulés sur environ cinquante ans de 1881 à 1933, comment ne pas se persuader que « le gibet n’est que pour le malheureux », comme aurait pu l’écrire François Villon, poète et « gibier de potence » lui-même ?

Malheureux, les accusés que nous présente l’auteur le sont tous en effet dans l’acception la plus large du terme. Souvent sur un plan matériel et intellectuel en ces temps où la vie était si dure pour le « petit peuple » de nos campagnes et de nos bourgs.[...]  Depuis l’abolition de la peine capitale en 1981, l’avocat ne risque heureusement plus de devoir accompagner son client au pied de l’échafaud. Mais parfois, dans les affaires les plus terribles, notre rôle se borne à assister le criminel jusqu’au prononcé d'un trépas qui lui laisse cependant la vie sauve. 


C’est ainsi l'honneur de notre profession d’être aux côtés des victimes bien sûr, mais aussi de ceux qui ont commis l’irréparable ou tout autre acte criminel, même si une certaine opinion ne le comprend pas toujours. Il nous appartient aussi de contribuer à éviter une condamnation lorsqu’un doute existe sur la réelle culpabilité de l’accusé. Et dans les autres cas l’avocat participe à l’œuvre de la justice ; à la fois « sentinelle » qu’il est du respect de la procédure et de la dignité de son client, et afin que le verdict soit à son égard le plus juste possible. Nous sommes le contrepoids d’une accusation et d’une répression qui risqueraient parfois d’être trop lourdement appliquées. Telle a toujours été la noblesse, et parfois la grande difficulté de notre tâche, et n’oublions pas, à travers les procès qui sont relatés dans cet ouvrage, le rôle joué par la défense. Parfois sans résultat vis-à-vis de faits gravissimes et d’un verdict « couru d’avance ». Parfois déterminant pour faire acquitter l’accusé ou pour faire retenir les « circonstances atténuantes » de l'époque qui permettront ainsi d’adoucir le sort judiciaire de l’accusé en allégeant peu ou prou le bras de la justice.

Si, comme on l’a dit plus haut, le crime naît souvent de la misère extrême des siècles passés, il peut surgir aussi du chagrin et du terrible désespoir. Il y a aussi le meurtre dicté par l’alcool, la colère ou la vengeance et les mauvais traitements, peut-être. Tel celui perpétré par ce brave commis de ferme de Châteauroux, mineur lors de son acte inexpliqué et qui lui vaudra vingt ans de réclusion en 1923. Et puis il y a ces affaires qui fascinent d’autant plus l’opinion, aujourd’hui encore, qu’elles sont incompréhensibles dans leur horreur et sans mobile apparent. C’est le cas de « l’ogresse de Villedieu » (ou de la « goutte d’Or » ou de Commercy…) qui étrangla ou étouffa six enfants, dont trois neveux, l’un de ses fils et un petit Bavouzet de Villedieu en 1907. Acquittée à Paris en 1906 pour quatre meurtres, elle bénéficie d’un non-lieu à Châteauroux en 1908. Jugée irresponsable dans la Meuse pour le 6ème meurtre d’un enfant de 7 ans quelques mois après sa libération, elle mourra internée d’une crise de folie en 1918. De même, pourquoi Lepron tua-t-il son beau frère à Mézières-en-Brenne en 1911 ? Dans le doute sur son état mental, il échappera à la guillotine… Quant aux méthodes utilisées pour aller au bout de l’acte criminel,  ils vont de la masse au maillet, en passant par le couteau, le révolver ou le fusil, la corde, sans oublier l’arsenic ou le vitriol. Internet n’a encore rien changé à cela…

La « réponse judiciaire », comme l’on dit dans nos tribunaux aujourd’hui, est plutôt rapide à l’époque de ces procédures. Sinon expéditive. La plupart des affaires sont jugées trois ou quatre mois seulement après les faits. Si cela dure plus, la raison en est dans le fait que l’auteur n’a pas été arrêté tout de suite ou que des experts ont été désignés pour en savoir un peu plus sur les causes de la mort par exemple. Le plus long délai fut de neuf mois pour « l’ogresse de Villedieu » jusqu’au prononcé de son non-lieu confirmé par la cour d’appel de Bourges. On jugeait donc presque « à chaud » ce qui est rarement gage d’une bonne justice. La recherche des éléments de personnalité, le recul et le temps que l’on prend aujourd’hui pour juger les criminels et comprendre leur acte, constituent forcément un progrès, même si cela n’évite pas toutes les injustices. A remarquer à ce sujet qu’à travers les dossiers que nous livre Vincent Olivier aucun ne constitue une « injustice » au sens strict du terme par rapport à l’identité et à la culpabilité des auteurs des faits. La culpabilité est chaque fois établie et avouée (sauf « l’ogresse » qui ne sera donc jamais condamnée par la justice et Marcel Augendre dont on ne sait s’il est coupable, complice ou innocent du meurtre de son patron) et à ce titre aucun innocent ou se déclarant tel ne fera l’objet des foudres de la cour d’assises et des jurés de l’Indre.

Ce ne sera pas le cas, on le sait dans ce département et ailleurs, pour Raymond Mis et Gabriel Thiennot, dont ce livre qui s’arrête à l’année 1933 ne traite pas, l’affaire étant née en décembre 1946. Les ouvrages de Léandre Boizeau font autorité en la matière. L’aveuglement et l’acharnement de la justice jusqu’à ce jour par rapport à ces deux innocents constituent une blessure révoltante pour moi-même et pour tout citoyen « normal ». Le refus quasi-pathologique de la plus haute institution judiciaire de notre pays de reconnaître enfin leur innocence alors que « Gaby » nous a quitté il y a peu constitue un déshonneur et une honte pour la justice de France.

Certes ceux qui la représentent et la rendent aujourd’hui ne ressemblent guère, sauf exceptions, à ces juges de 1881 et de 1933 ou même de 1947 et 1950. Issus du même milieu social, embourgeoisé et bien-pensant, les magistrats de l’époque et les présidents de cour d’assises, souvent cassants, imbus de leurs pouvoirs et de leurs certitudes, garants de l’ordre social établi, ne laisseraient guère de chances aux accusés, même s’ils permettaient parfois un acquittement ! Une telle clémence, parfois peu compréhensible en son principe lorsque la culpabilité ne faisait pas de doute, était souvent le fait de jurés qui n’avaient pu être contrôlés totalement par le président et qui, triés eux aussi sur le volet des bien-pensants de nos campagnes (ils étaient désignés par les maires) n’avaient souvent rien de très « populaires » et hésitaient rarement à abattre le bras de la justice… et parfois le couperet ! Mais parfois aussi, l’émotion et les circonstances exceptionnelles d’un drame les amenaient à acquitter un coupable… L’assassin de Jaurès, parmi bien d’autres, fut acquitté lui aussi…

Heureusement depuis environ 20 à 30 ans, la diversité de recrutement et la mixité sociale des juges professionnels et des jurés nous donnent l’image d’une justice criminelle plus conforme à la réalité de la société moderne. Elle n’est pas parfaite pour autant et ne reconnaît pas plus facilement aujourd’hui qu’hier ses erreurs passées. Mais comme le disait Frédéric Pottecher, le célèbre chroniqueur judiciaire que j’ai bien connu, les « crocodiles » de la cour de cassation (chargés en particulier d’examiner les requêtes en révision des procès) restent redoutables. Après l’affaire Seznec, et d’autres moins célèbres, Mis et Thiennot dont je suis l’avocat depuis 1980 pour tenter d’obtenir la révision de leur condamnation en ont fait aussi l’inhumaine expérience. 

En ce début de troisième millénaire, la justice révisionnelle de nos hauts magistrats n’a pas varié d’un iota. Ils ne laissent pratiquement rien « passer » malgré la loi Mis et Thiennot de 1989 qui a voulu assouplir les conditions de la révision des procès en France en y introduisant en particulier  la notion de « doute » après condamnation. 4 révisions criminelles seulement depuis près de 20 ans… C’est dire que ces juges de cassation se refusent pratiquement à appliquer cette loi qu’ils n’ont sans doute toujours pas « digéré » ou en tout cas intégré. Dreyfus et quelques autres, peu nombreux, ont bien eu de la chance de ne pas mourir au bagne de Guyane comme des dizaines (ou plus !) d'autres innocents qui y ont péri. Malheur à celui qui a été condamné malgré son innocence ! C’est la « vérité judiciaire » disent-ils et nul ne saurait la remettre en cause même 60 ans après s’agissant de Mis et Thiennot, et malgré toutes les preuves accumulées de leur innocence. Le doute ne saurait effleurer leurs nobles esprits ! C’est à pleurer… Raymond, Gabriel, leurs familles et leurs amis ont souvent pleuré. On sait aussi que les crocodiles ne pleurent pas… Même la présence de Raymond Mis, ce vieil homme écrasé par l’âge et le désespoir, lors de la dernière audience de la Commission de Révision de juin 2006 à Paris n’a fait ciller l’un de ses membres. Sauf le conseiller-rapporteur de l’affaire, magistrat honnête et admirable qui, après plusieurs mois de travail approfondi et d’auditions, s’était convaincu de l’innocence des « Dreyfus du Berry ». 

Ses collègues que rien ne pouvait émouvoir ou faire vaciller l’ont « étouffé » de leur silence méprisant et de leur archaïque « vérité judiciaire ». Mais avec ce livre si intéressant, pas de doute donc (ou si peu avec « l’ogresse » et Augendre…) sur la « vérité judiciaire » et culpabilité des criminels jugés. Seule la « justesse » de leur peine peut donner lieu à réflexion parfois. Mais on ne juge pas en 1881 ou 1933 comme en 2008. Bien des choses ont changé et nos jurys sont devenus « populaires » et tirés au sort. Mais le « bon peuple », malgré des présidents d’assises plus amènes, plus respectueux de l’accusé, mois partiaux et moins sûrs d’eux et directifs que leurs pairs, le « bon peuple » donc peut se tromper encore. 

L’affaire d’Outreau nous l’a rappelé de façon forte et médiatisée, mais je crains qu’elle ne soit pas une aberration isolée. A la nuance près que l’erreur judiciaire a pu être « rattrapée » grâce à la récente possibilité d’appel des procès criminels dont cette affaire a pu bénéficier. Outreau est d’autant moins étonnant que depuis que l’on juge à « pleines charrettes » les délinquants sexuels, on a fait de ces infractions le « mal absolu » : crimes absolus commis sur des victimes absolues par des monstres à tenir à l’écart ou à exclure pour toujours. Il n’y a aucun crime sexuel dans le panorama judiciaire que nous dépeint, avec la société de l’époque, Vincent Olivier. Très peu de ces infractions sexuelles étaient alors jugées en 1880 ou 1920 même si beaucoup, sans aucun doute, étaient commises. Que de braves filles violées et engrossées par les commis de ferme ou les bourgeois et leurs rejetons qui en disposaient à merci ! Que de pauvres familles aux arbres généalogiques compliquées et inavouables ! Que de viols impunis et de victimes pantelantes et brisées à jamais ! Aujourd’hui la société et sa justice semblent vouloir rattraper ce passé d’impunité. Qui pourrait leur donner tort, à condition de ne pas tomber dans l’excès du « crime absolu » dénoncé plus avant et de souvent soigner et contrôler autant que réprimer.

 Car n’oublions jamais que la justice ne doit pas être une « forme endimanchée de la vengeance », fut elle sociale. Cette vengeance s’est elle parfois endimanchée et exercée injustement devant la cour d’assises de l’Indre entre 1881 et 1933 et dans les affaires que nous fait si bien revivre Vincent Olivier ? A chacun de se faire son opinion et de se demander si décidément « le gibet n’est pas pour les malheureux »…"


Jean-Paul THIBAULT
Avocat au barreau de Châteauroux

Aucun commentaire: